ثقافة Exposition "Démolition" de Sahar El Echi et Saif Fradj: Des photos pétries d'illusion, d'autres délestées de pouvoir
Démolir pour pouvoir regarder le monde et ses choses autrement. Démolir les obstacles du quotidien pour pouvoir cheminer sur du différent.
L’exposition photos « Démolition », des artistes Sahar El Echi et Saif Fradj, qui se déroule à la galerie Elbirou du 5 au 20 mai 2018, nous convie sur le sillage de ce différent, de cette image qui fait fi du réel pour tenter de créer sa propre esthétique, son propre propos.
Si Sahar El Echi met un filtre lors de la prise de ses photos, Saif Fradj recouvre sa focale de froideur esthétique. Les images qui en découlent nous donnent à voir une œuvre pétrie d’illusion pour Sahar et délestée de pouvoir pour Saif.
Les photos de Sahar El Echi flirtent avec la peinture. L’artiste évoque, insinue, propose une possibilité artistique. Derrière une vitre perlée de pluie, l’artiste nous invite à contempler la solitude d’un arbre, à deviner les contours de silhouettes en attente, à entrevoir une esquisse de ruelle. Ses photos sont une sorte d’hallucination, des fenêtres abstraites qui refusent le quotidien blasé, la rectitude de l’enfer, la géométrie fixe.

Dans « Translucides », une série de trois photos, l’artiste capte des lumières nouvelles, celles qui peuvent jaillir d’un brouillard matinal ou celles qui peuvent provenir d’une lanterne lointaine. Les photos offrent alors cette illusion de mondes à part. Ces mondes qui intriguent, qui poussent à la découverte.
Dans cette même exposition, Sahar El Echi propose une installation vidéo dans laquelle elle laisse libre cours à sa caméra. Elle filme en plan séquence une sorte de voyage visuel, toujours derrière sa vitre perlée de pluie.
Trois minutes d’un Tunis bleu, gris et chaud qui se faufile sur l’écran. Le spectateur tente de reconnaitre les rues et les endroits. Difficilement reconnaissables car Sahar les a colorés, les a fait onduler. On se laisse alors faire, portés par ce voyage-découverte à la recherche d’une quintessence nouvelle, débridée, sans attaches.

Derrière un mur de briques, à moitié-démoli ou à moitié-construit, se place les photos de Saif Fradj, accompagnés par les textes de Foulen El Foulani. Une Vingtaine de photos que Saif a prises durant les deux dernières années. L’œuvre est froide et dépouillée à l’image de ses sujets. Ces hommes, femmes et enfants délestés de force, de toute sorte de pouvoir. Ces baliseurs du rien, du néant.
L’artiste prend le temps de les regarder et de fixer leurs postures dans leur environnement naturel. Un homme qui s’adosse à un mur, un enfant sur un vélo, une vendeuse de kaki qui détourne le visage, etc. Mais ce n’est pas tant les personnages qui retiennent notre attention mais plutôt cette âme anonyme, cette impression de mémoire lointaine, ce rapport de force absent.
Saif creuse dans ce filon du dépouillement pour raconter une histoire de gens livrés à leurs sorts. Des âmes laissées pour compte, qui ne peuvent peser d’aucun poids. Des âmes qui ne font que passer dans la torpeur du pays.

Dans l’exposition, deux photos représentent des arbres. Des arbres socles, des arbres de la sagesse. Le premier, en noir et blanc, un arbre qui pleure le soir, avec un seul pied, qui refuse que ses racines s’enfoncent dans le sol, sans fruits, comme le stipule le texte accompagnateur de Foulen El Foulani.
Le deuxième un figuier de barbarie qui raconte l’ampleur de la solitude et la force de la résistance. Dans le texte qui vient avec, Foulen dit qu’une personne lui a dit qu’ils ne nous convaincront de rien à part le fait que cet arbre a précédé les romains. Nulle autre vérité, dis Foulen. Tout le reste est mensonge, vacuité.
L’exposition se poursuit jusqu’au 20 mai à la galerie Elbirou pour ceux qui veulent découvrir des photos faites de démoli-recrée.
Chiraz Ben M’rad